Information importante à saisir :
l'Ordre recherche actuellement 2 Officiers !
requis RP : Etre humain(e), savoir prendre des décisions, connaître Noirfaucon comme sa poche.
requis HRP : Connexion régulière, TS3 Obligatoire, envie de prendre des décisions et de faire avancer l'Ordre.
Vous pouvez postuler via le formulaire de contact sur notre site internet, directement dans la partie recrutement de notre forum en stipulant dans votre objet de message que c'est pour être officier ou bien encore mieux IG en venant nous rencontrer !

Quelque part à l’ouest de la cité, le cri retentissant d’un coq annonça les premiers rayons du Soleil, qui apparurent dans la voûte céleste couvrant les montagnes de la Crête Flamboyante. Comme à l’accoutumée depuis ces six dernières années, les ascaloniens se levèrent en même temps que ce jour nouveau. Pantois, endormis, ils frottèrent leurs yeux engourdis afin de s’extirper de ce sommeil qui ne demandait qu’à les rappeler à son emprise apaisante.

Mais cela faisait maintenant bien longtemps que le peuple d’Ascalon ne pouvait plus se permettre de s’apaiser. Lorsque l’on évolue dans un cadre où la guerre est quotidienne, et où le moindre instant de relâchement peut vous coûter la vie, on apprend à rester sur ses gardes ; tout comme l’on apprend à profiter de chacun des plaisirs que la vie peut vous offrir. Le chant des faucons, le parfum d’une fleur, ou tout simplement le sourire d’un ami ; ce sont là de petites choses, d’apparences banales, qui ont su égayer le morne quotidien de l’Avant-Garde d’Ebon, entre deux de ces indénombrables assauts charrs…




Assis sur son lit, Orwynn de Thirloc pliait et repliait ses mains gantées devant lui, le regard perdu dans le vide. Il s’agissait d’un jour spécial pour lui et sa famille, pour lequel il éprouvait un étrange mélange d’appréhension et de fierté. Le cœur serré, il avait cette désagréable impression de pouvoir sentir son sang pulser dans ses tempes. Refermant le poing une nouvelle fois, il demanda, d’une voix au-travers de laquelle on pouvait deviner son anxiété :

- Alors ?

- Ca y est, père, je suis prêt, lui répondit son fils aîné, murmurant pour ne pas réveiller les tailleurs qui dormaient encore.

Car il avait été convenu que, pour privilégier la construction des murailles, chaque famille de soldats cohabiterait avec des civils, en attendant que l’on bâtît des habitations supplémentaires. Après six ans, les De Thirloc auraient bientôt leur propre maison mais, pour l’heure, il leur faudrait encore partager avec une tierce famille jusqu’aux moindres instants de leur vie.

Lorsqu’Eirik ouvrit la porte de la salle voisine, flottant dans cette armure dont il avait dû serrer les crans au maximum, la gorge de son père se noua, et ce dernier fit ce qu’il put pour masquer sa douleur derrière un sourire bienveillant. Néanmoins… au fond de lui, il éprouvait toujours cette indicible peine que l’on ressent, lorsqu’on réalise que nos enfants n’en sont plus vraiment, et que l’on ne pourra pas les protéger indéfiniment des dangers que présente le monde extérieur.

Oui, à onze ans, Eirik de Thirloc était déjà considéré comme un homme. Et aujourd’hui, il rejoindrait les autres garçons pour débuter son initiation, afin de rejoindre le combat dans lequel s’était engagé son père, de lointaines années auparavant. À partir de ce jour, il s’entraînerait dur, jusqu’au crépuscule, pour se préparer à affronter les charrs qui assiégeaient sans relâche la ville de Noirfaucon. À partir de ce jour, il serait le soldat de Thirloc, et ce serait maintenant ce seul titre qui guiderait sa vie.



Orwynn poussa la porte d’entrée, invitant son fils à rejoindre les ruelles enneigées de la cité. En voyant un sourire enjoué se crayonner sur le visage d’Eirik, Orwynn se rappela combien celui-ci aimait la saison du Zéphyr. C’était la seule durant laquelle la nature venait dissimuler aux yeux des survivants la nature des atrocités commises par les charrs. Oh, bien entendu, aucun d’entre eux ne pourrait jamais les oublier ; mais, l’espace de quelques mois seulement, les terres brûlées du nord étaient remplacées par un manteau de neige, et chacun pouvait alors se sentir un peu moins coupable de rêver, un jour, d’un futur heureux pour le peuple d’Ascalon. Ce cadeau de la nature était toujours le bienvenu, car il comptait parmi ces quelques plaisirs simples qui peuvent vous mettre du baume au cœur. Or, à Noirfaucon, le moral avait toujours été l’une des plus belles armes…

Le fils du couple De Thirloc n’avait que cinq ans, lors des funestes évènements de la Fournaise. Trop jeune pour se rappeler en détails des cristaux tombant sur les terres de son enfance, mais trop âgé pour oublier ces images tragiques, il lui arrivait encore fréquemment de se réveiller en hurlant, le corps luisant de sueur, et le cœur battant au rythme de sa peur. Toutefois, contrairement à bien d’autres, il avait su trouver au fond de lui la force pour tirer profit de ses cauchemars, et en tirait ainsi une haine vorace vis-à-vis des immondes créatures du nord. En conséquent, lorsque l’heure pour lui vint de se séparer de son père, ce ne fut pas la crainte ou le stress qu’il sentit courir le long de ses veines, mais une détermination féroce. Lui aussi, rejoindrait l’Avant-Garde d’Ebon. Lui aussi, combattrait les charrs. Et lui aussi, serait un vainqueur.
C’était un sentiment bien différent qui naquit dans la poitrine de son père. Mais ce dernier dut prendre sur lui, et continuer à aller de l’avant. S’efforçant de penser à son devoir, il se dirigea vers le poste de commandement d’un pas rapide. Cependant, à l’image de la neige qui tapissait les terres meurtries d’Ascalon, Orwynn de Thirloc ne faisait que dissimuler son inquiétude sous d’autres émotions. Lui-même savait que seul le temps pourrait apaiser ses frayeurs.

Il attendrait donc, priant les Six pour que son fils bénéficiât d’un destin plus favorable que celui de son propre père.




- Vous voilà, le salua le lieutenant Thackeray. Il ne manquait plus que vous, De Thirloc.

- Je suis là. Il y a du nou-…

Le sergent Orwynn s’interrompit en apercevant une silhouette, familière certes, mais néanmoins peu présente dans les environs. Tapi dans l’ombre, l’homme semblait caché derrière la capitaine Thackeray, qui caressait distraitement son ventre arrondi.

La guerre avait défiguré le dirigeant des Faucons Noirs, la troupe de reconnaissance de l’Avant-Garde d’Ebon. En effet, Derreck Adfelsord  portait, au niveau de son œil gauche, une interminable balafre qui s’étendait tout le long de son visage, traversant en une cicatrice noircie le côté brûlé de celui-ci.
La blessure avait décoloré son iris et arraché sa paupière, laissant ainsi un œil blanc, constamment ouvert, ce qui avait tendance à perturber ceux qui ne le connaissaient pas encore.

Malgré cela, en dépit de ses blessures de guerre, il n’en restait pas moins un éclaireur d’élite, capable de tuer une cible en mouvement d’une seule flèche, ou d’entendre une gargouille gronder au milieu d’un orage éclatant… Chose qui n’atténuait en rien son allure patibulaire.

- Oui, il y a du nouveau, annonça celui-ci de son habituelle voix sifflante. Nous avons…

- Derreck, le coupa Gwen Thackeray, en frappant la carte qui était posée sur la table.

Depuis sa grossesse, la susceptibilité de la capitaine avait atteint son paroxysme. Elle ne supportait pas la simple idée d’être mise de côté à cause d’une éventuelle faiblesse et, de ce fait, rappelait avec une véhémence presque excessive qu’elle était encore apte à diriger ses militaires.

Reculant d’un pas, Derreck Adfelsord la laissa continuer, sans demander son compte.

- Du nouveau, donc, reprit-elle plus calmement.Les Faucons Noirs ont repéré un nouveau chamane de la Légion de la Flamme, bien trop proche de Noirfaucon. On ne sait pas d’où il sort, on ne connait pas son nom, on ne l’avait même jamais vu dans les parages, et c’est bien ce qui nous inquiète. Il marche actuellement vers le sud, avec un œuf de guivre de feu qu’il compte faire éclore devant nos murailles.

- Un œuf de guivre de feu ? Répéta le sergent De Thirloc, incrédule.

- Oui. J’en ai déjà combattu une par le passé. Ce sont des créatures terribles, qui crachent des boules de feu…

- Et qui, comme leurs consœurs, se déplacent en creusant des tunnels souterrains, compléta son mari. Les charrs veulent sans doute qu’elle passe sous nos murailles.

- Après l’avoir renforcée avec des rituels dont ils ont le secret, reprit la capitaine.

- Dont ils avaient le secret, corrigea le chef des Faucons Noirs. J’ai réussi à nous procurer un de leurs parchemins, qui explique le rituel auquel ils auront recours. Le chamane et ses disciples comptent se sacrifier pour démultiplier la puissance de la guivre, après avoir précipité son éclosion. Et parce qu’une mauvaise nouvelle n’arrive jamais seule, mais aussi pour s’assurer qu’on ne s’ennuie pas trop, il semblerait que ça leur permette également d’insuffler leur volonté à la bête.

- La contrôler, en somme… murmura De Thirloc, horrifié. C’est donc à ma division de gérer ce problème ?

- Oubliez votre division, sergent, lui annonça la dirigeante de l’Avant-Garde. Pour une mission de cette envergure, pour les intercepter aussi proches des plaines du siège, il vous faudra des soldats d’élites. Les meilleurs d’entre nous. Vous ferez équipe avec Adfelsord, Malone, Nola – vous me la surveillez, celle-là –, De Brivuse, Aubont, Ranthus et Casey Charpentier.

- Charpentier ? Il ne supervise pas la carrière de pierres ?

- Pas pour cette mission, rétorqua-t-elle.

- Bien. Et… Quand partons-nous ?

- Dans une heure.


Le délai était court, et aurait probablement été intenable avec la plupart des autres troupes. Mais, comme elle l’avait annoncé, Gwen Thackeray venait de constituer une union hétéroclite de soldats d’élites. Et s’ils voulaient rester en vie, ils avaient intérêt à se montrer à la hauteur des espérances de leurs supérieurs, car les charrs avançaient vite, se situant dorénavant à seulement quelques heures de marche de la ville bâtie par l’Avant-Garde.

Keiran glissa à Orwynn de Thirloc un mot de réconfort à propos de son fils, lui assurant que tout irait bien, puis le sergent dut rejoindre sa nouvelle troupe. Ils furent rattrapés près des portes de la ville par les autres soldats, chargés de nombreuses paires de bottes aux semelles étranges, comme… griffues.

- Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda le sergent.

- Des chausses qui laissent des empreintes de charr, lui expliqua Charpentier. Le forgeron Martacier avait pensé que ça pourrait servir, en voyant les premiers flocons tomber.

- Attendez, il a fait tout ça cette nuit ?

- Affirmatif.

- J’ai comme l’impression que ce Martacier ne dort jamais… Ce qui n’est pas plus mal.

Ils enfilèrent rapidement ces inconfortables chausses, pendant qu’Adfelsord s’occupait de les maquiller, d’une manière que le manque de temps rendit relativement sommaire.

- Nous passerons par l’ouest, débuta Derreck avec son accent reptilien, reconnaissable entre mille autres. En passant par les montagnes, on accède à un endroit où il y a une faille dans les rondes des Charrs, approximativement deux heures avant le zénith. Mésentente entre les deux gardes, apparemment.

- Nous sommes huit, alors quatre d’entre nous marcheront à l’envers, ordonna ensuite Orwynn. De cette façon, en voyant nos traces dans la neige, celui qui prendra la relève pensera qu’un groupe de quatre charrs est venus, avant d’avoir fait demi-tour. Evidemment, ce n’est pas pour autant qu’il ne faudra pas surveiller nos arrières.

- Une fois le canyon de Bento remonté, poursuivit son acolyte, on devra courir jusqu’à un creux où on pourra se dissimuler, en attendant l’arrivée de la légion de la Flamme, qui se fera à l’ouest de l’endroit où ont lieu la plupart des attaques. Ils comptent nous prendre par surprise en passant par là. Heureusement, en dehors des abords directs de Noirfaucon, les charrs ne surveillent pas trop cette zone. On peut remercier nos amis du nord de continuer à occuper le plus gros de leurs troupes.

- Notre priorité est la mort du chamane qui maîtrise le rituel ; vient ensuite la destruction de l’œuf, puis celle des autres bêtes. Des questions ? s’enquit le sergent.

Pas une seule ne vint.






Ils grimpèrent le flanc des montagnes tout en mettant au point les détails de leur plan. Comme ils s’y étaient attendus, Derreck Adfelsord se révéla d’une aide inestimable ; étant le seul d’entre eux à avoir réellement pu s’aventurer en dehors des murailles de Noirfaucon, il prit la tête du peloton, pendant que le sergent De Thirloc mettait à profit ses propres talents de commandement.

Le déplacement se déroula sans encombre. Comme prévu, peu avant dix heures, le terrain se retrouva libéré de toute présence ennemie, et l’attroupement pu se précipiter vers la zone indiquée. Les sens en éveil, chacun d’entre eux conserva soigneusement ses mains sur ses armes, prêt à se lancer à l’assaut au moindre bruit suspect.

À l’abri entre deux congères, les soldats de l’Avant-Garde d’Ebon se turent, tendant l’oreille pour guetter l’arrivée du convoi de la guivre de feu. Ce qui se produisit moins d’une heure plus tard.

- Je vous l’avais dit, ils ont surgi en plein milieu du territoire, on n’avait pas le temps de se préparer, siffla l’éclaireur, bandant son arc pour viser le plus gros des charrs.

Il tira lorsque le sergent lui fit baisser son arme. La flèche se planta dans un tas de neige gelée, qui contrastait vivement avec le regard flamboyant que lui lança l’œil valide de Derreck.

En toute réponse, Orwynn de Thirloc lui indiqua le groupe de charrs. Si rien ne paraissait particulièrement insolite au premier abord, en s’y attardant un peu, les camarades du sergent s’aperçurent de perturbations anormales dans l’air environnant, et d’une baisse excessive du niveau de la neige dans leur sillage. Un bouclier de feu les encadrait…

Maintenue par les quatre disciples du chamane, la protection était prête à dévier toute attaque provenant des murailles de la cité ascalonienne. Les autres charrs s’échangeaient quelques plaisanteries enthousiastes en désignant les fortifications de pierre, à mesure qu’ils progressaient en direction de Noirfaucon. Le stress monta bientôt chez les soldats de l'Avant-Garde, qui se mirent à réfléchir à toute allure, espérant trouver une solution avant que ne débutât le rituel.

À quoi avaient-ils pensé, pesta intérieurement Orwynn. Qu’il leur aurait suffi de sortir, de se balader tranquillement en dehors des murs, pour ensuite foncer tête baissée sur les charrs, qui se seraient laissé faire ?!... L’espace d’un instant, il en voulut à tous ceux qui l’entouraient. Aux Thackeray, qui les avaient envoyés dans une mission précipitée ; à Derreck, qui ne les avait pas avertis suffisamment tôt ; aux rares élémentalistes  de l’Avant-Garde, qui étaient restés agrandir les réserves d’eau… Mais plus qu’à nul autre, il s’en voulut à lui-même, qui ne voyait pas comment se sortir de ce mauvais pas sans risquer un assaut frontal, tuant ainsi la moitié son escouade.

C’était peu enviable, mais il s’agissait là de la seule option qu’il imaginait viable…






Tous sursautèrent lorsqu’un crissement se fit entendre derrière eux. Sans prendre le temps de réfléchir, Adfelsord arracha une flèche à son carquois et tira, interrompant net le charr qui s’apprêtait à appeler des renforts. La flèche lui traversant la gorge, il s’écroula dans un grommellement trop faible pour avertir ses camarades.

- De Brivuse, l’interpela Orwynn, cachez moi vite ça avec une de vos illusions pen-…

Il regarda successivement De Brivuse et Nola, les deux mages de l’équipe. L’envoûteur et la nécromante. Le chaos et la mort. La solution à portée de main…

- Laissez tomber, reprit-il, parlant plus vite que jamais. Vous allez m’invoquer une illusion de mort-vivant en plein dans leurs rangs. Plus s’il le faut, l’essentiel est que vous me perturbiez les mages qui utilisent le bouclier, sans qu’on se fasse repérer. Nola, vous faites tout ce qui est possible pour que les actions d’Adfelsord passent inaperçues. Ils veulent passer sous nos défenses ? Très bien. On va faire la même chose.

Elle acquiesça avec un large sourire. Pendant que les mages et l’éclaireur se préparaient, les cinq autres se mirent en position, guidés par le sergent. Prêts à partir, prêts à tuer.

Il ne fallut pas plus d’une seconde. Une seconde, durant laquelle le sol sembla trembler sous l’éveil d’une abomination illusoire jaillissant de la neige scintillante. Les charrs bondirent sous l’effet de la surprise et, alors que le bouclier faiblissait, Derreck décocha une flèche qui atterrit en plein dans le crâne du chamane…
Qui vacilla un instant, mais parvint à rester sur ses pattes arrière, l’air toujours aussi farouche et résolu.

Levant le bras, le chamane indiqua cependant la direction opposée à celle de l’Avant-Garde, dans une parfaite imitation du geste Nola. Tous les charrs se tournèrent vers les plaines du siège. Tous, sauf un, qui fut aussitôt étranglé par le corps du chamane, désormais entièrement soumis à la volonté de la nécromante.
Lorsqu’ils firent volte-face, pour enfin affronter les cinq soldats se ruant vers eux, il était déjà trop tard.

Orwynn, en première ligne, para leurs maigres assauts à coup de bouclier, puis enfonça sa masse dans le crâne d’un charr avec un craquement sinistre, avant d’exploser les côtes d’un autre. Un troisième charr s’apprêtait à lui donner un violent coup de marteau lorsque celui-ci fut dévié par Ranthus, et le sergent put en profiter pour le repousser à l’aide de son bouclier. Sonné, la bête fut achevée par une flèche qui s’enfonça dans l’une de ses quatre oreilles.

Malone acheva d’un coup d’estoc l’animal agenouillé, pendant que Casey Charpentier le protégea en levant son bouclier, attaquant ensuite l’assaillant avec un violent coup de pied, que celui-ci reçut en plein ventre. Le chamane bondit sur un de ses anciens compagnons, et profita de son désarroi pour s’emparer de ses armes et les lui enfoncer en plein cœur.

Seul un charr, plus mince et rapide que ses compatriotes, parvint à esquiver les coups portés. Il balaya l’air à grands coups d’un espadon qui laissait des traînées de flammes derrière lui, forçant les soldats de l’Avant-Garde à reculer. Par une heureuse coïncidence, il sauta sur ses ennemis au moment où Derreck lui tirait dessus. Esquivant ainsi la flèche, il décapita le chamane qui s’écroula aussitôt, la chair de son cou noircie par la chaleur, puis s’en prit à Malone, qu’Aubont défendit avant de se retrouver éjecté par la violence de l’assaut.

Assistant de loin au combat, le soldat De Brivuse invoqua une nouvelle illusion. Alors, lorsque le charr riposta aux images de Ranthus et Charpentier, il fut simultanément attaqué par ces derniers, accompagnés de Malone, bien réels cette fois-ci. Et il s’écroula sur le sol, inanimé.






La victoire fut fulgurante. L’œuf, détruit dans la bataille. Le chamane, décapité par un de ses pairs. Laissant derrière eux une neige écarlate, les soldats s’éclipsèrent rapidement par le canyon de Bento. Un éclaireur charr fut tué sur le chemin.


- Excellent travail, sergent De Thirloc, le félicita le lieutenant Thackeray à leur retour.

Le soleil se couchait sur les montagnes de la Crête Flamboyante. Marchant dans les rues de Noirfaucon, Keiran et Orwynn savouraient le plaisir d’avoir vécu un jour de plus. Et si les ombres s’étiraient longuement dans la cité, c’était bien l’ombre l’une menace supplémentaire qui avait aujourd’hui été anéantie. Une nouvelle victoire pour le peuple d’Ascalon, afin d’attiser la flamme de l’espoir, celle-là même qui poussait chacun des citoyens de Noirfaucon à se surpasser, jour après jour.

Oui… Parce que, lorsqu’on se bat pour sa survie, on apprend à apprécier le moindre des plaisirs, en priant pour que ce ne soit pas le dernier.

Le chant d’un faucon, le parfum d’une fleur, ou le sourire d’un ami… En ce 39ème jour de la saison du Zéphyr, c’était une victoire portée sur les charrs qu’amenait l’Avant-Garde à son peuple. C’était un sourire sur toutes les lèvres, qui serait offert aux citoyens de Noirfaucon.

- Merci. Je dois admettre que c’était un plaisir de travailler avec ces soldats. Et, bien que j’aie craint un instant d’avoir à leur faire courir des risques inconsidérés, on a finalement pu s’en sortir sans pertes.

- C’est ce que j’ai vu. Quoiqu’il en soit, restez à l’affût ; il se pourrait que nous fassions de nouveau appel à vous.

- Hm… Et vous viendrez avec nous, cette fois-ci ?

- Non. Je reste pour défendre la cité. Je veux bien que ces créatures poilues soient brutales et irréfléchies, mais on ne peut décemment pas tous aller tuer des chamanes sans risquer d’éveiller des soupçons chez eux, sourit Keiran.

- Je vois… En quelques sortes, vous êtes le bouclier, et nous, la lame d’Ebon, c’est cela ?

- Exactement. Il était grand temps que l’Avant-Garde repasse à l’offensive, après tout.

- On ne pouvait pas se permettre de nous diviser avant d’avoir consolidé nos positions, lieutenant. Ne vous en faites pas, vous avez bien fait les choses.

- Evidemment, avec le capitaine que nous avons ! rit-il. Mais je vous le redis : restez sur vos gardes. Au vu de vos premiers résultats, on pourrait bien refaire appel à votre… « lame d’Ebon ». Quitte à vous créer une nouvelle section.

- Nous n’en sommes pas encore là, lieutenant. Pour l’instant, le grade de sergent me convient parfaitement. Mais s’il le faut, enchaîna-t-il aussitôt, sur la défensive, j’assumerai les responsabilités que vous me confierez, cela va de soi.

- Je n’en attendais pas moins de vous. Tiens… ? Bon, je vais vous laisser… Il me semble que vous avez encore fort à faire.

Serrant amicalement son épaule en guise de salut, Keiran s’éloigna, laissant Orwynn rejoindre la silhouette menue d’Eirik, qui l’attendait au bout de la rue.

Ce soir, il aurait une nouvelle histoire à lui raconter. Mieux encore : ce soir, il serait là pour la lui raconter. Et c’était résolument ça, la plus belle de ses victoires.

C’était une belle journée de la saison du Scion et, bien que le Soleil se couchait, il régnait encore une douce chaleur dans le bastion militaire de Noirfaucon. Quelque part au sud-ouest de la ville, le capitaine Theobald du Roc, dirigeant de la Lame d’Ebon, fixait d’un œil morne les parchemins décrivant l’organisation de son ordre. Ces derniers jours, il avait essuyé la démission de ses deux sergents : Odélie Arkhen et Bruinort Martacier, deux soldats de longue date, qui, sur un coup de tête dont seuls les Six connaissaient l’origine, s’étaient subitement mis à défier son autorité, ainsi que la manière dont il gérait la Lame d’Ebon.

Mais qui étaient-ils, ces jeunes arrogants, pour venir critiquer ainsi leur supérieur ? Ils n’avaient rien vu de ce que Theobald avait enduré. Leur expérience du terrain n’avait rien de comparable avec celle du capitaine. Lui, avait connu la guerre depuis sa plus tendre enfance. Outre les charrs et les séparatistes, il avait affronté, à plusieurs reprises !, le pire ennemi qu’un homme puisse connaître : la mort. Le vétéran avait survécu à ses amis les plus proches. À sa femme. Et même à son propre fils. Et ces deux sergents, rendus prétentieux au possible par un pouvoir nouvellement acquis, pensaient pouvoir lui apprendre, à lui, comment diriger la Lame ? L’idée était risible. Mais cela importait peu. Il y avait eu une Lame avant eux. Il y en aurait une après. Ca n’était qu’un fâcheux contretemps dans son organisation. Un obstacle de plus, qui ne tarderait pas à être surmonté.

Néanmoins… En dépit de cette certitude, le capitaine ne parvenait pas à s’expliquer pourquoi les mots de ses deux hommes le perturbaient autant. Pourquoi ils résonnaient en écho dans son esprit, depuis deux jours, le perturbant dans les rares instants de temps libre qu’il parvenait à s’accorder.

« Ça n’est rien », se répétait-il. Et c’était justement ce qu’il se disait lorsque sa conseillère, une jeune femme du nom de Cassie, vint le trouver pour lui annoncer qu’il était l’heure. Alors, il s’arracha à la contemplation de ce simple morceau de papier, reprit son casque, son bouclier et son épée, puis sortit de son bureau en la remerciant. Il descendit les escaliers d’un pas digne, fier et régulier. Parce qu’il était le capitaine Du Roc, et qu’aucune de ces stupides démissions ne viendrait changer ça.

- Soldats, en ligne ! ordonna-t-il d’une voix implacable en arrivant au sommet des dernières marches de sa caserne.

Ils s’exécutèrent rapidement. L’espace d’un instant, Theobald eut une étrange impression, en observant ses hommes se placer devant lui. L’absence de l’imposante silhouette de Martacier avait quelque chose de dérangeant. Son sourire discret, et ses remarques – certes déplacées, mais qui pouvaient néanmoins vous arracher un sourire coupable – manquaient à l’appel. Il y avait une sorte de vide, que les soldats actuellement présents ne parvenaient pas à combler…

Toutefois, lorsqu’il reprit la parole, le capitaine Du Roc n’en demeurait pas moins fidèle à son grade : d’une neutralité exemplaire, et d’une autorité sans appel.

- Ce soir, entraînement, annonça-t-il, désireux de leur prouver que, en dépit des évènements récents, rien ne changerait. Nous allons…
Il fut interrompu par l’arrivée d’un homme qu’il avait aperçu plusieurs fois, sans y prêter plus d’attention que cela. Les cheveux longs et sale, la démarche cabossée et le dos voûté, le fossoyeur de Noirfaucon accourut vers eux en implorant leur aide.
- Quoi, qu’y a-t-il ? le somma Theobald, ennuyé d'être dérangé avant même d’avoir pu commencer.
- Pitié, m’sieur, l’interpela l’ancien, essoufflé. Y’a un type louche qu’est en train d’dévaliser une’ crypte ! Par Grenth, vous d’vez faire que’qu’chose.. ! Les morts s’font déranger !
- Une crypte ? Quelle crypte ?
- Celle qu’y a sa porte d’ouverte, pardi ! Celle ed’vot’ ordre !

S’il n’y avait pas réellement de crypte appartenant à la Lame d’Ebon, une pouvait répondre à cette description. Le cœur serré, Theobald du Roc se tourna aussitôt vers ses hommes.

- Celle de... ?! Soldats, tonna sa voix grave, en colonne derrière-moi ! Au pas de course ! Vous, montrez-nous !

Tous partirent en direction du cimetière, pendant que les images des derniers jours affluaient dans l’esprit du capitaine. Ces temps-ci, plus encore qu’auparavant, il avait ressenti le besoin d’aller se recueillir auprès de son ancien ami et prédécesseur, Lothar De Thirloc… Et si une âme impudente avait à présent décidé de venir s’en prendre à lui, que les Six en soient témoins, il jurerait de lui administrer lui-même le châtiment qu’elle mérite.

- Ce type a failli m’enterrer vivant ! se plaignit le fossoyeur sur le chemin.

Perdu dans ses propres pensées, le capitaine ne lui répondit pas. Il ordonna au soldat Fur de bloquer l’entrée du cimetière, et se précipita en direction de la tombe de son meilleur ami avec le reste de sa troupe, pendant que le croque-mort, subitement distrait, opérait un détour pour aller saluer la tombe d’une certaine Lucy.

Les portes de la crypte avaient été enfoncées. En tendant l’oreille, les soldats de la Lame d’Ebon purent aisément deviner qu’il y avait une activité inhabituelle au bas des marches de pierre. Un frisson d’effroi parcourut le corps de Cassie à l’idée de ce qui les attendait à l’intérieur, et sembla trouver écho auprès de ses collègues.

- Kate, allez dire à Calci Fur de venir !
- Bien, capitaine, répondit la soldate Wills.
- Fossoyeur, vous, vous resterez ici. Personne ne passe.
- Euh… Mon nom c’est Edward Tropl’eau, m’sieur, réagit timidement le croque-mort.

Mais il ne l’écoutait déjà plus. Ouvrant davantage la porte pour pouvoir passer avec son armure, il encouragea ses soldats à se presser derrière lui, et pénétra dans l’ultime demeure des De Thirloc, le dernier avertissement du fossoyeur retentissant derrière eux.

L’atmosphère était sinistre au possible. Dans les couloirs étroits de la crypte, ils ne pouvaient avancer que deux par deux, et disposaient d’un espace bien trop restreint pour pouvoir combattre de manière optimale. Si les pillards décidaient de leur tendre une embuscade ici, ils auraient sans doute du mal à réagir. Mais, par chance, pendant qu’ils descendaient jusqu’à la salle principale, seuls quelques petits animaux croisèrent leur chemin.

C’était une vaste pièce circulaire, relativement haute de plafond, et dont le mur du fond portait une grande peinture représentative de l’emblème des De Thirloc, encadré par deux autres, plus petits, qui appartenaient à la Lame d’Ebon. De nombreux cercueils – dont un bon nombre avaient déjà été ouverts – la meublaient, chacun accompagnés de torches qui avaient été rallumées, sans parvenir pour autant à éclairer pleinement la pénombre. Il fallut aux soldats un certain temps pour s’habituer à l’obscurité. Un certain temps pour déceler la silhouette surélevée d’une jeune femme au visage masqué... Les jambes croisées, elle les regarda entrer en soupirant.

- Je savais bien que je ne pourrais pas rester tranquille bien longtemps…

Elle avait visiblement reconnu les uniformes, mais la présence de militaires dans une crypte qu’elle pillait paraissait simplement l’ennuyer, comme s’il s’agissait là d’un contretemps regrettable, certes, mais néanmoins presqu’indigne de son attention.
D’un geste las, sans rien dire de plus, l’inconnue passa à l’offensive. Elle fit remuer l’un des cercueils, utilisant à sa guise la dépouille du défunt pour former un monstre de chair et d’os, semblable à une guivre. On pouvait reconnaître les côtes à la place des dents, ainsi qu’un amoncellement difforme de différentes parties d’un corps pour la partie principale de la bête. Sous le regard satisfait de sa créatrice, l’animal poussa un hurlement strident.

- Cassie, viens derrière-moi ! conseilla la soldate Wills.
- Ça ira, la rassura l’intéressée.
- Abattez-moi ce monstre ! cria le capitaine en se ruant dessus. Avec moi !

Lui et le soldat Estvent furent les premiers à l’atteindre, donnant de violents coups sur l’abomination qui n’eut pas le temps de se défendre, et explosa littéralement, répandant sang et ossements sur les membres de la Lame.

- Saleté ! pesta Kate Wills, pendant que son amie Cassie s’éloignait discrètement.
- Pas mal, pas mal, les complimenta la nécromante d’une voix forte. Vous êtes plus rapides que ce que je pensais… Mais rassurez-vous, j’ai encore de quoi vous amuser un moment… Ça serait dommage, que vous soyez venus pour rien… Non ?

À ces mots, des cadavres putréfiés, décomposés depuis de longues années, sortirent des coffres les plus éloignés. Un rire dément se répercutant contre les parois du tombeau, les soldats du capitaine Du Roc se préparèrent à les affronter, abattant bientôt leurs épées sur ceux qui étaient les plus proches. Les morts n’opposaient de grande résistance, et les militaires se demandèrent un moment si la femme ne cherchait pas simplement à tester leurs défenses…

Jusqu’à ce que des couvercles de cercueils tout proches se mirent à leur tour à s’animer.

- Voyons voir ce que vous allez faire, contre vos anciens ! rit la pillarde en se redressant.
- C’est impossible… Non… bredouilla le chef de guerre.

Parmi les deux derniers corps à se relever, tous deux vêtus de lourdes armures, Theobald Du Roc en reconnut un, comme si celui-ci ne l’avait quitté qu’hier…

- Lothar !

Son meilleur ami, pourtant mort depuis longtemps, se tenait là, debout, devant lui, horriblement fidèle à la dernière image qu’il avait de lui. Son regard vide le fixant sans relâche, un sourire se crayonna sur ses lèvres que le temps avait asséchées. Pendant que l’autre cadavre proférait quelques menaces, Lothar de Thirloc parla d’une voix qui rappela mille souvenirs à son ami, tout en enfonçant autant d’aiguilles dans son cœur encore battant.

- Theobald… vieux fr… ère… Ça fait longtemps…
- Tu es mort, répondit celui-ci d’une voix rauque. Tu ne peux pas être là !
- Et pour...tant…

Alors qu’ils se dévisageaient l’un l’autre, Cassie, de son côté, se mit à un incanter un sort visant à immobiliser la mage. Mal à l’aise avec des incantations de cette puissance, elle commença aussitôt à saigner du nez, et, bien qu’elle réussît son sortilège, elle ne parvint pas à attirer l’attention de la nécromante, qui se mit à insuffler un ersatz de vie à d’autres ossements.

Le soldat Khreokin Estvent réagit aussitôt, exhortant ses collègues à les attaquer, et, parce que seule Kate remarqua l’état de Cassie, elle s’éloigna du reste du groupe pour tenter de lui faire cesser cette prise de risques.

- Retourne d’où tu viens ! implora Theobald d’une voix inhabituelle.
- Avec plai…sir, répondit l’autre capitaine. La caserne… Que tu… as vo…lée… à mon fils… C’est… de là… que… je viens.
- Je n’ai rien volé du tout ! se défendit-il, sans voir le combat que menaient ses soldats. Lothar, écoute-moi !
- Capitaine, ils sont de plus en plus nombreux ! l’avertit vainement Khreokin.
- Tu n’as… rien à… faire… ici… Ta seule présence… est… un ou..tra..ge à… notre sang, prononça Lothar avec difficulté. Ton poste… revient à… Argaï…

Non loin d’eux, Calci Fur mit en morceaux un des revenants, alors qu’un autre s’accrochait au dos de Kate. Elle n’eut pas d’autre choix que de se laisser tomber en arrière pour lui broyer les os, ne pouvant de ce fait pas venir en aide à Khreokin, qui se voyait progressivement submergé par la vague de serviteurs.

- Argaï n’est pas prêt !
- Parce que… tu penses… l’être… ?
- Tu étais meilleur que moi, mon ami ! Je ne t’égale pas et ne le nie pas, mais je suis le capitaine !
- Tu n’es pas capitaine… Pas plus... que… tu n’es… mon ami…

En entendant son meilleur ami se lever ainsi contre lui, en le voyant revenir, si semblable et différent de celui qu’il avait connu, Theobald ressentait une souffrance qu’il ne put nier… Le genre de peine qui vous prend en plein cœur, qui vous agrippe la poitrine et saccade votre respiration. Le genre de peine qui ne se soigne pas avec des médicaments, et que seul un compagnon de longue date peut vous provoquer…
Ainsi, avec ce poids dans sa poitrine, il fallut au vétéran toute la force de sa volonté, pour prononcer une simple phrase :

- Ne m’oblige pas à utiliser la force…

Aveuglé par la vision d’un Lothar mort-vivant, Theobald ne se rendit pas compte que la nécromante s’était libérée du sort de Cassie, qu’elle avait mise à terre par la force d’un sortilège singulièrement violent. Elle en avait profité pour asseoir sa domination sur les corps de ses serviteurs. Herlad de Thirloc, qui s’était éveillé en même temps que Lothar, vint asséner un violent coup de marteau au soldat Fur, avant de se faire tirer dessus par Kate – ce qui ne provoqua rien d’autre que les rires de la pilleuse de tombes. Le mort-vivant, lui, se mit alors à tournoyer sur lui-même, repoussant ainsi tout ce qui avait le malheur de se trouver à portée de son arme.

- Tu n’as rien d’un… De Thirloc… Tu n’as rien d’un chef ! s’emporta le plus jeune des défunts.

Sous le regard apeuré de Theobald, Lothar dégaina alors son épée. C’était une lame ancienne, que son interlocuteur reconnut aussitôt. Nimbée d’une aura de flammes bleutées, l’arme ancestrale des De Thirloc semblait avoir traversé les âges sans en subir les désagréments et, aujourd’hui, elle était dirigée vers ceux qui avaient autrefois été ses alliés.

- Vous êtes tous si… minables ! s’amusa la nécromante. Pas étonnant que vous n’ayez pas su protéger Ascalon !

Sous son commandement, Herlad fit trembler le sol en y donnant un coup particulièrement puissant, hurlant aux soldats de la Lame qu’ils étaient indignes de protéger les terres de ses ancêtres.

- Rien ne t’y oblige ! s’emporta Theobald, craignant un combat contre son camarade.
- Si… L’ho..nneur !
- Lothar, articula-t-il lentement, avant de dégainer ses armes à contrecœur. Tu peux stopper cette folie… Ne me force pas à te combattre !
- Mon ami… mon frère… sourit son adversaire en ignorant ses suppliques, rejoins-moi dans la mort…

Herlad, après avoir paré un coup de Khreokin, s’abaissait pour le charger de tout son poids lorsque le capitaine Du Roc confessa, à mi-voix :

- Tu sais que je voudrais te rejoindre… Mais ce n’est pas encore le moment !

Alors, tout en lançant un sortilège d’effroi sur le soldat Estvent, la nécromante lança Lothar à l’assaut. Soumis à sa volonté, il se rua ainsi sur son meilleur ami, pour le frapper avec une vigueur surprenante. Le bouclier de Theobald encaissa le coup avec difficulté, et son porteur sentit une vive douleur le prendre au niveau du poignet. Sous les continuels rires déments de la pilleuse, Herlad, de son côté, se retourna vers Kate pour l’empêcher de rejoindre Khreokin, se rendant ainsi vulnérable au coup que lui porta Calci.

- Touche pas à Kate, l’affreux ! pesta Estvent en sautant sur le champion décédé.
- Rends… mon… ordre… ! s’énerva Lothar. À Arg..aï…
- Je… je ne peux pas… Lothar…

En toute réponse, ce dernier le brutalisa de nouveau, déformant une fois de plus l’écu de Theobald, qui sentit cette fois-ci le choc se propager dans l’entièreté de son bras gauche. Contrairement à ses soldats, il était seul. Et ce, à tous les égards.

- Allons, laissez-vous aller, embrassez la mort !  les nargua l’inconnue. Acceptez l’étreinte de Grenth !

Voyant Herlad se faire transpercer par l’épée de Calci puis pousser par Khreokin, elle redémarra ses sombres incantations, sans se rendre compte que, cachée dans un coin du sépulcre, Cassie avait eu une idée similaire. Le sort de l’envoûteuse lui donna l’impression de sombrer dans un gouffre sans fin, et un cri terrifiant retentit dans toute l’enceinte de la crypte.

À l’opposé de la salle, Lothar frappa verticalement son ami, qui se défendit tant bien que mal. Son bouclier lui enfonçant le bras, il s’effondra au sol dans un hurlement joint à celui de la nécromante.

C’est à cet instant précis que Theobald finit par accepter l’inévitable… Pour rester en vie, il devrait combattre la mort. Jetant son bouclier en grimaçant, il se releva avec difficulté, pour ensuite passer à l’offensive, mais chacun de ses coups fut paré par son prédécesseur.

- Pauvre folle, tu vas mourir ! hurla la pilleuse à l’attention de Cassie, qui s’affaiblissait à vue d’œil, un liquide rouge poisseux s’écoulant de ses narines.

Pour se défendre du sort que la pillarde lui lança, la conseillère n’eut d’autre choix que de lever son illusion, afin de pouvoir utiliser des morceaux de cadavres illusoires en guise de boucliers.

- Stoppe ça tout de suite ! répéta Theobald. Il en est encore temps !
- Il fallait y réfléchir… avant de… prendre la.. place… des De Thirloc, rétorqua Lothar. Maintenant… tu ne… peux… plus fu.. ir…

Riant froidement, il opéra un mouvement sec de son bras gauche. Un cercle de flammes bleues apparut autour des deux capitaines de la Lame d’Ebon, les séparant définitivement des autres membres de l’ordre.

Le survivant pointa son épée vers son opposant, plaçant son bras blessé en retrait ; escomptant la faire tomber, c’est cette même arme que visa le mort en donnant une rafale de coups latéraux. Incapable de tous les parer, le capitaine Du Roc recula quelques peu, essoufflé, puis tomba à genoux.

- ASCALON NE SE RENDRA JAMAIS ! s’écria Herlad en frappant l’épée de Kate pour ensuite la frapper aux côtes – un coup qu’elle n’esquiva que partiellement.
- Bien dit, et la Lame d’Ebon non plus ! répliqua Khreokin en se plaçant entre eux.

La nécromante empoisonna les morceaux de corps utilisés par Cassie, qui disparurent aussitôt, semblant n’avoir jamais existé. Furieuse de s’être faite avoir par ce genre d’illusions, elle récita de nouvelles formules, lançant un sort que son antagoniste parvint à esquiver, tout en se hissant peu à peu vers elle. La conseillère répondit alors par un sortilège qui projeta l’autre femme en arrière.

Alors, avec un sourire malicieux, la nécromante usa d’un sort qui la transforma en un nuage noir flottant dans les airs, et s’échappa de la crypte sans demander son reste, échappant à Cassie, qui s’était épuisée par les enchantements précédents. S’en voulant d’avoir échoué, elle se laissa tomber en arrière, regardant avec une impuissance rageante les combats menés par ses alliés.

- Si… faible… ricana Lothar, levant son espadon ancestral au-dessus de la tête de son camarade. Tu n’es pas digne… de cette… place…
- Mon ami… souffla Theobald, tout en bloquant l’assaut grâce à une bulle protectrice qu’il parvint à invoquer au dernier instant. Tu ne me laisses pas le choix…
- Je suis déjà mort… Ne vois-tu pas… ? Tu n’as… plus de femme… plus d’enfant… plus d’ami… il ne te reste… qu’un ordre qui… ne t’app..artient… pas… Tu es seul…

Si une certaine détermination s’était un instant lue dans le regard du capitaine, elle disparut aussitôt. Une larme coula sur sa joue. Se convainquant que cet homme n’était pas Lothar, il se releva pour le frapper à son tour, à l’image du soldat Estvent, qui se ruait également sur son adversaire.

Mais Herlad bloqua sans mal cet assaut, enchaînant rapidement avec un coup de boule – Khreokin profita cependant de cette approche pour lui enfoncer son épée en plein cœur. Le mort-vivant parvint néanmoins à échapper à cet assaut, pour ensuite repousser Khreokin et Calci, qui se relevait juste, avant de recevoir un violent coup de poing de la part de la soldate Wills.

À quelques mètres de là, sous le regard inquiet de Cassie, Lothar de Thirloc parait une à une les tentatives de Theobald, chacune des manœuvres provoquant une légère explosion de flammes. Lorsqu’il contre-attaqua, Du Roc s’écroula au sol.

- Alors… Où sont tes hommes… pour t’aider… ? Es-tu si… mauvais capi…taine… que ça ?
- Arrête ! lui demanda Du Roc d’un air apeuré, vulnérable.
- Ne t’en fais pas… l’ami… C’est bien...tôt… fini…

Une lueur azurée apparut dans les yeux sans vie de Lothar, et se répercuta le long de son espadon embrasé, pendant que son ancêtre Herlad riait du choc reçu. Ce dernier saisit alors la soldate Wills pour la précipiter sur Khreokin, l’empêchant ainsi de le frapper.

- Vous allez souffrir ! cria Herlad.
- Tu es seul… et tu mourras seul, murmura Lothar, légèrement plus loin. Viens avec moi, Theobald… Je t’offre… Une issue…
- Tu m’offres la mort !
- Oui, expira-t-il. Je t’offre ce que… tu mé…rites…

Pendant une seconde, Theobald vit l’image de sa femme et de son fils s’imposer à lui. Il s’imagina les rejoindre, pour l’éternité. Récupérer enfin ce qu’on lui avait cruellement arraché… Retrouver cette partie de son cœur, celle qui ne lui reviendrait jamais… Il eut alors l’impression d’entendre son fils lui murmurer quelque chose à l’oreille, de sa douce voix enfantine. Lui rappeler qui il était. Lui rappeler qu’il était Le capitaine Theobald du Roc. Le dirigeant de la Lame d’Ebon.

Et il trouva la force de se relever, enfonçant avec une fureur inouïe son épée dans le cou de Lothar, alors que ce dernier frappait ses jambes de son espadon.

Les deux coups portant, Lothar se retrouva avec une lame enfoncée profondément dans sa gorge, tandis que l’autre capitaine s’écroulait derechef.

Herlad, lui, s’approcha de Calci pour lui asséner le coup de grâce. Mais le soldat fut plus rapide, et le frappa également au niveau du col, provoquant chez l’ancien capitaine un grognement sourd. Le serviteur décédé attrapa ensuite son épée au niveau de la poignée, bloquant la main du soldat dessus.

- Tu vas… morrrrt… souffla-t-il, tout proche de lui.

Cognant de son marteau le bouclier de Calci, il l’étourdit, et s’apprêtait à abattre son arme sur son crâne lorsque Khreokin vint lui trancher la tête. Elle roula sur le sol en une vision lugubre, bientôt suivie par le reste du corps.

Mais les soldats n’eurent guère le temps de célébrer cette victoire. Se hâtant vers leur capitaine, ils furent bientôt bloqués par le cercle de flammes invoqué par Lothar, et ne purent qu’assister, inopérants, à ce sinistre combat.

À terre, Theobald invoqua une bulle protectrice pour parer les offensives de son meilleur ami, ainsi qu’un espadon magique qui apparut derrière son prédécesseur. Toutefois… même si, en temps normal, Theobald avait l’avantage sur Lothar en termes de magie, dans l'état actuel des choses, son hésitation rendait ses invocations moins puissantes qu'à l'accoutumée. Aussi fallut-il très peu de temps à son adversaire pour faire imploser les invocations de l’actuel capitaine, provoquant ainsi un souffle de feu qui se répandit entre les deux combattants.

Leurs armures enflammées, leurs cris se mêlèrent, celui de Lothar ressemblant plus à un rire macabre qu’à une réelle expression de douleur. Dans un ultime effort, le capitaine Du Roc se jeta sur lui pour le plaquer au sol. Les paupières closes, il récupéra son épée qu’il lui enfonça dans l’œil, tandis que Lothar l’attaquait à son tour. Le mort-vivant lâcha néanmoins son espadon après être parvenu à toucher Theobald, qui s’embrasa à l’endroit où le choc avait eu lieu.

Serrant les dents, le capitaine Du Roc se guida à l’ouïe pour deviner où l’arme était tombée, parvenant par miracle à la récupérer avant son adversaire. Des larmes brûlantes roulant sur son visage marqué par les épreuves du temps, et faisant fi de toute hésitation, il trancha la tête de son meilleur ami d’un coup sec… puis s’effondra sur le sol à ses côtés, le dernier remerciement du défunt résonnant en écho dans son crâne.

Les pas précipités de ses hommes furent le dernier son qu’entendit Theobald avant de perdre connaissance.

À son réveil, il marchait, pieds nus, dans un décor brumeux. Ses doigts avaient lâché l’espadon des De Thirloc, pour se mêler à ceux de son fils. Face à lui, sa femme et Lothar le regardaient, affichant tous deux une même expression de profonde satisfaction. Lui-même ne put s’empêcher de sourire, d’un sourire qu’il n’avait plus affiché depuis de nombreuses, bien trop nombreuses années… Ce simple geste lui donna l’impression de rajeunir, de retrouver celui qu’il avait été avant qu’on ne lui arrachât les êtres les plus chers à son cœur.

Il aurait pu dire mille et une choses, mais rien ne vint. À la complexité des mots, il préféra la beauté du silence. Il savait que, de toute façon, toute parole aurait été superflue. Parce qu’il y avait plus dans le regard qu’il échangea avec ses proches, que dans tout ce qu’il aurait jamais pu leur dire.

Un laps de temps indéfini s’écoula ainsi. Etaient-ces des minutes, des heures, des jours, peut-être ? Il n’en savait rien. La seule chose dont il était certain, c’est que cela ne changerait rien : s’il devait s’arrêter un jour, alors cet instant n’en aurait été que trop court…

Mais il fallait savoir. Alors, s’avançant d’un pas hésitant, il demanda d’une voix faible :

- Est-ce que… est-ce que c’est réel ? Suis-je… ?

Son épouse secoua la tête en signe de dénégation. Ne parvenant trop à distinguer ce qu’il ressentait face à cette vision, il tâcha de s’exprimer, tant bien que mal.

- Je… Vous me manquez… Tellement… Sans vous, j’ai l’impression de n’être rien… De tout faire de travers…

Avec un sourire rassurant, le fantôme de sa femme posa un index sur ses lèvres, l’incitant au silence. Il se tut aussitôt, et se mura dans la contemplation de cette femme qu’il avait tant aimée… De cette femme qu’il aimait, et qu’il aimerait à jamais.
Comptant bien profiter de chaque seconde passée en leur compagnie, il prit alors son fils dans ses bras, et lui dit :

- Mon grand… Tu sais que j’aimerais rester avec toi, avec vous… Tu sais que je n’ai qu’une hâte, celle de vous retrouver… Mais on m’attend encore de l’autre côté, et je dois continuer à honorer le nom que tu portes… Je te promets, assura-t-il, sans prendre la peine d’essuyer ses larmes, je vous promets de tout faire pour que vous soyez fiers de moi.

Un sourire triste sur son visage, il les regarda une dernière fois…

Puis le néant revint.