Ywain ne releva pas les yeux lorsqu'il entendit la porte de son bureau s'ouvrir en grinçant avant de se refermer sur un claquement joyeux. Il n'y avait à sa connaissance qu'une seule personne capable de retranscrire son humeur fantasque jusque dans les onomatopées de la présente histoire.
Les talons d'Helio Faalem claquèrent en mesure sur le sol dallé, tandis qu'il se rapprochait puis s'arrêtait devant le bureau encombré de paperasse.

A la gauche d'Ywain il y avait une haute pile de papiers couverts d'une écriture fine et empilés les uns sur les autres avec une précision millimétrée. A sa gauche, la même, qui ne portait pas encore la signature du sergent. Le jeune homme continua de lire le rapport sous ses yeux en soulevant les deux premières pages, la plume en suspens. Parfois, il ajoutait une note en marge.
Une main passa devant son champ de vision pour prendre une feuille sur la première pile.
« Veuillez reposer cela, monsieur Faalem.
- Ca m'a l'air soporifique mon ami. »

L'elonien se tordit le cou pour mieux lire, et retourna la feuille dans l'espoir de mieux comprendre avant de la reposer en travers de la pile. D'un geste bref de la main, Ywain la recala à sa place correcte. Helio sourit.
« Savez vous que j'envie votre sens de l'ordre, Ywain ? »

Ywain signa et plaça les trois feuillets au sommet de la pile avant de reposer sa plume dans l'encrier et de relever les yeux vers ce qu'il convenait bien d'appeler -au terme de plusieurs semaines passées à supporter son excentrique présence- son "ami".
« Je suis occupé, monsieur Faalem. Que voulez vous ?»

Avec le sourire d'un homme qui va sortir une alléchante surprise du revers de son veston, Helio glissa la main sous un pan de son manteau et en tira un papier couvert d'une large écriture effilée et élégante qu'il plaqua sur le bureau sous le nez du sergent. En s'appuyant des épaules contre l'inconfortable dossier de son fauteuil de service, Ywain le prit d'une main et le parcouru en silence, tandis que son visiteur étudiait ses réactions avec un petit sourire au coin des lèvres. A la fin, Ywain releva vers lui un regard bleu.
« Vous avez triché pour l'article 18, n'est ce pas ? Vous avez relevé les morceaux de phrase qui vous paraissaient pertinents et les avez collés bout à bout. »
Le sourire de Faalem s'élargit.
« Croyez le ou non, mon cher Ywain, mais je l'ai lu de bout en bout et me suis efforcé de le décortiquer. Allons mon ami, n'allez vous pas me gratifier d'une réaction ? Nous pourrions travailler ensemble, sous le divin regard de votre chère Kormir ! N'allez vous pas m'appuyer ?
- Non, monsieur Faalem.
- Pourquoi cela ?
- Parce que vous êtes instable, fantasque et changeant, monsieur Faalem. », énonça lentement Ywain avec la précision d'un couperet.

Helio Faalem se plaqua une main sur le front d'un grand geste théâtral avec un sanglot. Ywain ne cilla pas, reconnaissant en l'homme un don remarquable pour la comédie. Le marchand disposait d'un visage expressif dont il usait à merveille pour représenter à volonté désespoir ou hilarité, et passait d'une humeur à l'autre avec la versatilité d'un papillon. Helio ouvrit ses doigts pour découvrir ses yeux et voir si Ywain réagissait. Nullement déconcerté par l'impassibilité du jeune homme, il sourit et laissa retomber sa main.
« Quelle cruauté, Ywain, moi qui ait cru qu'un ami bien placé me soutiendrait. Je suis déçu, une fois de plus.»

Il décocha un baiser à une séraphine qui entrait pour apporter un supplément de paperasses. La jeune femme rougit et s'esquiva en vitesse après avoir salué le sergent.
« Qu'importe», ajouta-t-il en se penchant par dessus la table. « Si je ne suis pas juge je me ferai avocat, Ywain. Et je ferai relâcher les gens que vous arrêtez.»

Ywain le considéra un moment, tandis qu'Helio se redressait en rajustant les boutons de ses manches. Après quelques instants, il répondit :
« La loi est ce qu'elle est, monsieur. J'arrête les gens, un tribunal les juge. Il ne m'appartient pas de me prononcer sur sa décision. Si cet homme récidive, je l'arrêterai de nouveau car ainsi est fait le devoir qu'on ne peut s'y soustraire même lorsqu'il semble vain.»

Il était rare qu'Ywain prononçât de si longs discours. Le sourire de Faalem s'élargit, tandis que le jeune homme se penchait sur les nouveaux dossiers. Après un moment, il releva les yeux. Helio Faalem n'avait pas bougé et tentait de lire à l'envers de là où il se trouvait. Leur regards se croisèrent, et Faalem feint l'embarras.
« Oh pardon, mon ami. Je m'en vais tranquille, je vois que la loi est en marche et que le citoyen honnête peut dormir sur ses deux oreilles.»